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Comprendre le langage des nouveaux médias

7 septembre 2014
Illustration : CanStockPhoto
Illustration : CanStockPhoto

Il aura fallu attendre neuf ans avant que « The language of new media » de Lev Manovich fasse l’objet d’une traduction en langue française. L’auteur, qui enseigne les arts visuels à l’Université de Californie, entreprend un véritable travail d’archéologue pour définir ce que sont les nouveaux médias. Il en donne cinq caractéristiques principales : représentation numérique, modularité, automatisation, variabilité et transcodage culturel.

La théorie du langage des nouveaux médias développée par Manovich s’appuie sur l’histoire des cultures visuelles et médiatique modernes (cinéma, photographie, art, littérature et informatique). Pour Manovich, en effet, « l’informatisation de la culture ne conduit pas seulement à l’apparition de nouvelles formes culturelles, comme les jeux vidéo et les mondes virtuels, elle modifie également des formes existantes ».

Que sont les nouveaux médias ?

Dans le premier chapitre, Lev Manovich s’attache à décrire ce que sont les nouveaux médias. L’ordinateur, souligne-t-il, est passé d’un statut de machine analytique à celui de « machine à tisser le Jacquard, c’est-à-dire un outil de synthèse et de manipulations médiatiques. » Manovich constate que les nouveaux médias suivent la logique industrielle « aussi bien dans la division du travail (…) que dans l’organisation matérielle ». Mais il s’agit d’une logique propre à la société posindustrielle, « qui valorise l’individualité aux dépens de la conformité. »

L’auteur définit aussi ce qu’est un objet néomédiatique : «  (il est) constitué de partie indépendantes, chacune comportant des parties autonomes et ainsi de suite. » De nombreux programmes informatiques constituent des objets néomédiatiques suivant « un style de programmation informatique structurée. » L’automatisation des processus en constitue une des principales caractéristiques, laquelle est rendue possible par la conjugaison du codage numérique du média et de la structure modulaire d’un objet médiatique. Cette automatisation est omniprésente « dans les logiciels de traitement de texte, de maquettage, de présentation et de création de programmes web ».

Les bases de données, de nouvelles formes culturelles

Les éléments médiatiques sont stockés dans des bases de données, qui finissent par fonctionner « comme forme culturelle à part entière ». Celles-ci proposent une représentation particulière du monde réel, et elles « modifient également la manière dont l’utilisateur conçoit les données qu’elle contient. » Avec les bases de données, les contenus sont séparés de l’interface. Un objet néomédiatique peut donc être constitué d’une ou plusieurs interfaces à partir de mêmes données. Les bases de données sont « une manière nouvelle de structurer l’expérience que nous avons-nous-mêmes du monde ». Elles donnent une représentation d’un monde « comme une liste d’éléments qu’elles refusent de structurer » , et se trouvent au cœur des processus de création. Les données n’existent pas d’elles-mêmes rappelle-t-il : « Il faut les produire. »

« Les médias modernes sont devenus le nouveau terrain d’affrontement de la base de données et du récit »

Quant à l’hypermédia, il s’agit « d’une autre structure fort répandue, conceptuellement proche de l’interactivité par embranchement ». Selon Chomsky, cette structure « qui spécifie les connexions entre des nodules est comparable à une phrase dans une langue naturelle. » Lev Manovich évoque, lui, l’analogie entre hypermédia et programmation informatique, où algorithmes et bases de données « sont nettement séparés ».

« La technologie des nouveaux médias est la forme de réalisation la plus parfaite qui soit de l’idéal d’une société composée d’individus numériques. »

Caractéristique de base à tous les nouveaux médias, le principe de variabilité « se rencontre couramment dans l’art conceptuel et numérique récent ». Ainsi,  « tout utilisateur d’une installation interactive obtient sa propre version de l’œuvre » Les données sont davantage représentées sous forme de variables que de constantes : « ce principe signifie que l’utilisateur dispose de plusieurs options pour modifier la performance d’un programme ou d’un objet néomédiatique, qu’il s’agisse d’un jeu vidéo, d’un site web, d’un navigateur ou d’un système d’exploitation lui-même. » L’auteur poursuit son raisonnement en démontrant en quoi le cinéma contenait déjà de nombreuses caractéristiques des nouveaux médias.

Interface homme-machines et opacité du code

La deuxième partie de l’ouvrage traite de l’interface informatique, « qui agit comme un code qui véhicule des messages culturels dans divers médias ». Et ce code « influe sur les messages transmis par son intermédiaire. » On retrouve là des liens évidents avec la théorie de la communication (de masse) de Marshall MacLuhan : « Medium is the message ». Ici, toutefois, Manovich met en exergue l’opacité du code. « Un programmateur fixe des conditions, règles ou procédures initiales contrôlant le programme informatique qui crée les données. (…) tous les utilisateurs peuvent ‘parler’ le langage de l’interface. Ils l’emploient activement pour effectuer diverses tâches. » L’interface est une fenêtre mobile sur le monde, elle « est, aujourd’hui, ce qu’était hier le cinéma ». Mais en plus, elle modélise le monde.

Filtrage, sélection, téléaction, interaction

Dans un troisième chapitre, Lev Manovich traite des opérations, qui constituent des moyens de travailler avec les données. Généralement automatisées, ces opérations « à l’instar des algorithmes, peuvent passer par une série d’étapes (…), exister en tant que concept avant de s’incarner dans des logiciels ou du matériel informatique. » Elles incluent des logiques de filtrage, de sélection et de téléaction (cf web des objets).

Le quatrième volet du « Langage des nouveaux médias » est dédié à l’illusion, là où notre perception de l’image se modifie, là aussi où les objets néomédiatiques nous font passer « de l’identification à l’action ». Ici aussi, Manovich dresse de nombreux parallèles avec le cinéma, auquel il consacre son dernier chapitre. Auparavant, il s’intéresse également aux formes, qui obéissent au principe de transcodage. Dans les années 1960, par exemple, « l’interface utilisateur graphique imitait des interfaces physiques familières : classeur, bureau, poubelle… ».

Les nouveaux médias réinventent tout en se nourrissant des expériences médiatiques antérieures. Leur culture emprunte à d’autres cultures tout en développant des caractéristiques spécifiques. A leur manière, il sont des DJ’s, des remixeurs.

(L.D.)

Lev Manovicth. « Le langage des nouveaux médias ». Les presses du réel, Paris, 2010, 605pp.

Lire aussi : Le logiciel, un remixeur aux commandes

 

 

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